Élise Lucet avec Arnaud de Belloy, le patron de Herta

Le 14.09.2016 à 17h48 Challengesoir

Mis en cause dans l’excellente émission de France 2 Cash Investigation, le géant de l’agroalimentaire n’a pas fui le débat mais s’est assuré le dernier mot via internet.

C’est la question qui angoisse tous les chargés de communication des grandes entreprises: « comment réagir si Elise Lucet demande à rencontrer le PDG? » Jusqu’à présent la plupart des entreprises mises en cause par la journaliste de l’émission Cash Investigation, refusaient poliment ses demandes d’interview. Elles jugeaient trop risqué d’exposer leur big boss dans une émission de grande écoute, sur des sujets sensibles voire polémiques. Il faut bien reconnaitre que faute de temps, bien souvent, les journalistes qui se voient refuser l’interview d’un grand patron, se résignent et passent à autre chose.

Mais en l’occurrence, l’évitement s’est révélé être une très mauvaise solution. Car l’opiniâtre reporter a toujours réservé un traitement de faveur à ceux qui lui ont claqué la porte au nez. Chassée par la porte, elle revient par la fenêtre: séquences en caméras cachées, irruption lors d’assemblées générales d’actionnaires, interruptions de déjeuners, interpellation en pleine rue, etc. Autant d’images qui ont permis à ce programme de France 2 de gagner ses lettres de noblesse et la confiance des téléspectateurs, mais qui ont été dévastatrices pour les groupes et les patrons visés. On n’aura pas la cruauté de citer encore ici ceux qui, poursuivis dans la rue ou dans les couloirs, ont donné à jamais, une image durable plus ou moins méritée, de couardise et d’impréparation.

Nestlé dans l’oeil du cyclone

Lors du dernier numéro du magazine d’investigation, ce 13 septembre, le groupe Nestlé s’est retrouvé à son tour dans l’œil du cyclone, mis en cause pour les nitrites contenus dans les charcuteries de sa marque Herta. Les études scientifiques assurent que l’absorption de ces ingrédients favorise les cancers. Les industriels assurent qu’ils sont absolument nécessaire car ils protègent les consommateurs d’une maladie plus immédiatement mortelle, le botulisme. Elise Lucet affirme que le botulisme a disparu et qu’il existe des industriels, au Danemark, qui ont banni les nitrites de leurs recettes sans pour autant que cette maladie soit réapparue. En revanche, note l’enquêtrice et son équipe, les charcuteries dénuées de nitrites, ont un aspect marron, peu appétissant qui risque de rebuter les clients et donc mauvais pour les ventes.

La filiale française du géant suisse de l’agroalimentaire, n’a pas cherché à fuir. Sa directrice de la communication Valérie Bignon a ouvert les portes du siège français à Noisiel, qu’Elise Lucet a pu visiter toutes caméras branchées. Cette communicante chevronnée a même expliqué avec une franchise implacable qu’il n’était pas possible de visiter les usines du jambon et de saucisses du groupe car le grand public, qui n’a pas l’habitude de voir une production industrielle, pourrait se faire de fausses idées. Un constat qui n’a pas été contredit par la journaliste.

Dans la séquence suivante, la journaliste, toujours dans les locaux de Nestlé, « cuisine », le patron de Herta, Arnaud de Belloy. Ce fut l’un des grands moments de bravoure du programme, Elise Lucet, menant l’interview de telle façon, que l’industriel soit pris en flagrant délit de mauvaise foi, obligé de se contredire lorsqu’elle lui met sous le nez des documents accablants et du salami danois. L’industriel assure que les nitrites sont absolument nécessaires pour éviter le fléau du botulisme, et qu’il est impossible de les supprimer, avant de déguster de bon cœur avec Elise Lucet, une tranche de saucisson qui n’en contient pas.

Ces images ne sont pas franchement glorieuses pour Nestlé mais la multinationale s’en sort plutôt bien. Elle n’a pas fui les questions, elle a ouvert ses portes, elle paraît avoir répondu sans calculs… et surtout, en mettant en avant le patron de la marque Herta, elle n’a pas exposé inutilement son PDG, Richard Girardot qui n’a pas eu à affronter lui-même Elise Lucet.

Richard Girardot a suivi l’émission son smartphone à la main

En revanche, celui-ci, excellent connaisseur des médias, est sorti du bois, à la fin de l’émission pour apporter la contradiction, répondre au reportage via son blog et avoir le dernier mot. A malin, malin et demi. Patron affectif et attachant, capable de colères et de mauvaise foi pour défendre ses marques bec et ongles, ce batailleur qui n’a pas hésité d’autres fois à dénoncer les diktats de la grande distribution, a suivi l’émission de France 2, le smartphone à la main. Il a envoyé des sms aux relais d’opinion de sa connaissance et rédigé un billet sur le blog qu’il alimente depuis plusieurs mois et qui porte son nom RichardGirardot.com. La réponse était en ligne en fin de soirée et un email envoyé en push aux journalistes et collaborateurs, que le travail d’enquête d’Elise Lucet et de son équipe auraient pu émouvoir. Avec deux ou trois vérités omises par l’émission: « Non, le botulisme n’a pas disparu, et l’agence de Santé Publique nous le rappelle justement. (…) Par ailleurs, et grâce en grande partie à la réglementation à laquelle se soumettent tous les producteurs, le nombre de cancers et en particulier du cancer colorectal est en baisse depuis 2005. »

On se passerait volontiers des leçons d’objectivité et de déontologie journalistique que le patron de Nestlé France se permet de donner à Elise Lucet, mais il marque un point en soulignant: «nous répondons à toutes les questions, tant des médias que des consommateurs. Nous sommes prêts à débattre sur le fond de tous les efforts que nous entreprenons afin de rester à la pointe de notre activité agroalimentaire ».

CQFD, Nestlé ne s’est pas défilé. Le groupe n’a pas toujours été aussi franc du collier face à ses détracteurs par le passé. On se souvient de sa défense catastrophique lorsqu’il a été mis  en cause sur le thème de l’huile de palme, il y a quatre ans. On apprend de ses erreurs et il serait bon que l’attitude décomplexée de Richard Girardot inspire d’autres PDG de l’agroalimentaire moins courageux. A partir d’un certain niveau de responsabilités et de salaires, il est impossible de se planquer quand Elise Lucet vient frapper à la porte.

Jean-François Arnaud JournalisteTWITTER