Emmanuel Besnier - Lactalis

Les Echos | Business case  Si Lactalis a fini par s’accorder avec les producteurs sur les prix du lait, l’opacité et la stratégie défensive de l’entreprise risque de laisser une empreinte négative durable. Analyses de professionnels de la communication de crise.

Pour un groupe qui ne fait quasiment aucune communication d’ordre corporate, jamais le nom de Lactalis et la photo de son PDG Emmanuel Besnier n’aura autant été cité qu’en ce moment. Favorisée par le creux médiatique de l’été, la polémique autour des négociations sur les prix du lait entre l’entreprise leader des produits laitiers et les agriculteurs français a pris une ampleur exceptionnelle. Ces dernières semaines, les opérations d’appel au boycott, de blocage de routes et de sites de production ou d’information auprès des consommateurs dans les supermarchés se sont multipliées, forçant le groupe à négocier et à sortir de sa réserve.

Renouer avec le dialogue et l’empathie

Les trois communiqués de presse diffusés depuis juillet par le géant agroalimentaire dénoncent « le dénigrement contre-productif » des syndicats cherchant à nuire à son image. L’entreprise se pose en « bouc émissaire » d’une crise à l’envergure européenne. Des terminologies reprises par la plupart des médias, mais qui passent mal auprès du grand public. « Comme dans la plupart des crises, Lactalis oppose des arguments rationnels à une rhétorique émotionnelle et cela crée débat, analyse Arnaud Dupui-Castérès. Cette argumentation est légitime, mais l’entreprise doit très rapidement la faire évoluer pour éviter le blocage des discussions. » Or, le président de Vae Solis souligne que cette crise met en exergue à tout le moins, une faille dans le dispositif de dialogue avec les parties prenantes mis en place au sein du groupe.

Les rares interventions du directeur de la communication et des relations extérieurs de Lactalis, dans la presse, témoignent d’une position défensive. « Michel Nalet n’aime pas s’exprimer auprès des journalistes (un comble pour un directeur de la communication ! , NDLR), mais l’entreprise a fait des efforts considérables pour s’ouvrir aux médias ces dernières années », explique Alain Pajot. Si ce dernier, fondateur de Crises-Experts, concède que l’entreprise essaie de donner une réponse plus humaine à la crise, il note que les tournures de phrases employées à la télévision et à la radio restent très négatives, même pour exprimer des intentions positives. Il critique également le choix de ces supports. « Parce qu’ils jouent sur la communication non verbale, ces médias chauds requièrent d’adopter une position plus empathique, précise-t-il. Il aurait peut-être mieux valu envoyer à l’AFP un graphique sur l’évolution du prix du lait et des volumes de production pour expliquer les mécanismes de l’économie du lait. »

Entretenir le capital image de l’entreprise

« Dans cette affaire, on atteint clairement les limites du culte du secret, juge Alain Pajot. Tous les efforts que l’entreprise et son PDG ont fournis pour se faire discrets ont fini par les rendre extrêmement visibles. » D’après Meltwater, près de 200 articles de presse sur ce thème voient le jour par semaine depuis le 22 août. De son côté, Arnaud Dupui-Castérès, scande qu’un leader doit montrer l’exemple. « Il est plus surprenant qu’après trois semaines de crise, le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll n’ait jamais rencontré Emmanuel Besnier et qu’il ne dispose pas de son numéro de téléphone portable. » De fait, l’image corporate n’a jamais été une priorité pour la multinationale. « Ses choix stratégiques ont souvent servi des intérêts globaux au détriment du local », rappelle Alain Pajot en évoquant la crise du lait cru que l’entreprise avait décidé d’abandonner dans la fabrication de ses camemberts avant de faire marche arrière face au tollé des consommateurs. Une grave erreur pour Arnaud Dupui-Castérès, qui rappelle que le nerf de la guerre pour les entreprises de grandes tailles réside aussi dans leur capacité à attirer les talents.

Seul point positif, le groupe de Laval a efficacement protégé ses marques commerciales sous Lactalis, la dénomination ombrelle de l’entreprise. Les consommateurs ne font ainsi pas toujours le lien avec Lactel, La Laitière, Président, Société ou Bridel. Mais il se peut que l’efficacité de cette stratégie plie face à des organisations syndicales aux messages de plus en plus percutants.

ARIANE GAUDEFROY | LE 31/08/2016 À 09:34 | MIS À JOUR À 10:00  Les Echos BUSINESS

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