Le Consortium international des journalistes d’investigation a coordonné plus d’une centaine de rédactions pour dévoiler ce qui s’annonce comme le plus gros scandale d’évasion fiscale.
Plus de 11 millions de documents financiers, soit la plus grosse fuite d’informations confidentielles dans l’histoire du journalisme. Les révélations, dimanche soir, des « Panama Papers » sur les sociétés offshore et les personnalités y ayant recours, sont d’une ampleur inédite. Derrière elles, se trouve un acteur clef : le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Car si les fichiers secrets ont d’abord été obtenus par le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung – grâce à un lanceur d’alerte anonyme -, l’ICIJ est venu prêter main forte au journal, à sa demande.
« Devant l’ampleur des données, le quotidien allemand a décidé de faire appel à l’ICIJ et ses partenaires habituels, afin de partager ses informations, au regard de la précieuse expérience acquise par le consortium en matière d’investigations financières transnationales », explique Le Monde, média français partenaire du consortium. Dès lors, ce titanesque travail d’enquête a été mené et partagé entre 109 rédactions dans 76 pays, dont celles, en France, du Monde et de « Cash Investigation », émission d’investigation diffusée sur France 2.
Durant un an, plus de 370 journalistes se sont ainsi réparti le travail d’exploitation de cette colossale base de données – plus de 2.600 gigaoctets – du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, qui met à jour « les sociétés offshore de dirigeants politiques internationaux […] et les détails des transactions financières cachées des fraudeurs, des trafiquants de drogue, des milliardaires, des célébrités, des stars du sport et plus encore », indique l’ICIJ sur son site.
Créé en 1997, l’ICIJ est basé à Washington. Il est rattaché au Centre pour l’intégrité publique, fondé en 1989 à l’initiative du journaliste américain Charles Lewis pour « servir la démocratie en révélant des abus de pouvoir, la corruption et la trahison de la confiance du public par de puissantes institutions publiques et privées ». L’outil pour le faire ? Le journalisme d’investigation.
Organisation à but non lucratif, l’ICIJ se présente comme « la meilleure équipe au monde » de journalistes d’investigation. Sur son compte Twitter, le message est clair : « Fighting corruption with the world’s best cross-border » (Lutter contre la corruption grâce à la coopération transfrontalière ; ndlr). Elle regroupe plus de 190 journalistes à travers le monde, dans plus de 65 pays : des fact-checkeurs, des spécialistes du datajournalisme, des experts, etc. En France, cinq sont affiliés à cet organisme qui se donne pour but d’étendre et de défendre « le journalisme de chien de garde » : Fabrice Arfi et Karl Laske (Mediapart), Aurore Gorius (indépendante), Serge Michel (Le Monde) et Edouard Perrin (Premières Lignes, société de production de « Cash Investigation »).
Spécialisé dans le traitement de données et l’enquête, ce groupe international de journalistes se donne pour but de creuser toutes les problématiques ne s’arrêtant pas aux frontières comme « la criminalité transfrontalière, la corruption et la responsabilité du pouvoir ». Et ce, dans une période où les moyens économiques et humains manquent cruellement pour entreprendre des enquêtes de fond. « Nous sommes en train de perdre nos yeux et nos oreilles et précisément au moment où nous en avons le plus besoin », souligne l’ICIJ sur son site.
Pour ce faire, l’ICIJ met à disposition des rédactions partenaires, ses compétences techniques et des outils qui permettent à tous les enquêteurs du monde entier de collaborer sur un même dossier. Ainsi, l’ICIJ a déjà produit des enquêtes sur les multinationales du tabac, sur les cartels militaires privés ou le scandale de l’amiante. En 2013, l’ICIJ avait permis de dévoiler l’enquête « Offshore Leaks » sur les paradis fiscaux. Avant d’orchestrer plus tard, les révélations du scandale « Swiss Leaks« , en février 2015, sur le système international de fraude fiscale que la filiale helvète de la banque HSBC est soupçonnée d’avoir mis en place.
Pour financer ses travaux de journalisme d’investigation par-delà les frontières, « le plus cher et le plus risqué au monde », souligne l’organisation sur son site, l’ICIJ fait appel à des financements privés. En 2013, juste après les révélations de l’opération Offshore Leaks, Marina Walker Guevara, la numéro 2 de l’organisme, expliquait à Libération : « Il y a un mur pare-feu entre nos bienfaiteurs et notre travail. Ceux qui nous financent ne sont pas informés à l’avance des sujets sur lesquels nous enquêtons. Si jamais nous tombons sur leurs noms, nous continuerons bien sûr à enquêter ».
Si l’ICIJ reçoit les dons de fondations comme le Centre Pulitzer ou la Fondation Ford, il s’appuie aussi sur ceux des particuliers. D’ailleurs, si vous appréciez le travail de longue haleine mené par ce collectif, l’ICIJ vous propose de l’encourager directement grâce à un lien sur son site.